Le drame actuel de la France est véritablement l’absence de projet collectif et commun face aux changements du monde d’aujourd’hui. Elle est démunie face à la fragmentation structurelle de sa population soulignée par certains observateurs.

Il y a de cela plusieurs siècles, à un moment où la science commençait à s’imposer à une Europe pétrie d’obscurantisme, le philosophe anglais Thomas Hobbes disait : « Il est vrai que hors de la société civile chacun jouit d’une liberté très entière, mais qui est infructueuse, parce que comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi elle laisse aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu’il leur plaît. Mais dans le gouvernement d’un État bien établi, chaque particulier ne se réserve qu’autant de liberté qu’il lui en faut pour vivre commodément, et en une parfaite tranquillité… ».

Le fait est que nous vivons aujourd’hui un passage intranquille de la verticalité des rapports sociaux et politiques à leur horizontalité. Dès lors l’autorité, l’ordre, la puissance contraignante et coercitive de l’État bien établi seront de plus en plus remis en cause par des groupes et des individus en quête non plus d’Égalité mais d’égalitarisme.
Les gilets jaunes dont certains voulurent «  prendre l’Élysée » en ont été la preuve mais pas la seule… Le discours faisant de l’Etat l’alpha et l’oméga de la vie collective est frappé d’obsolescence. Or, aucune entité de substitution n’existe encore dans la sphère publique qui puisse agréger toutes les divergences d’intérêts et de revendications, et qui puisse donner en Guadeloupe comme en France hexagonale du sens au vivre ensemble par une foi en un destin commun de nation ou de peuple.

Certes des franges plus ou moins importantes et plus ou moins actives du peuple adhèrent encore à l’édifice idéologique et surtout juridique de la République. Mais les forces telluriques qui la menacent, amplifiées par les ondes de choc polémiques qui pullulent dans les réseaux sociaux désacralisent dans le même mouvement les piliers que sont l’exercice démocratique du pouvoir (et ce qu’il exige de rationalité) et la soumission à l’autorité publique. Ce que de plus en plus d’individus exigent, ce ne sont plus seulement des droits mais en plus le droit d’avoir le droit. Les formes même de la représentation collective de la société civile se transforment et deviennent multiples et contradictoires.
Ainsi par exemple syndicats et corporations autrefois sur des rivages systématiquement opposés font de plus en plus front commun sur certaines questions (comme par ex les retraites, ou contre l’obligation vaccinale).
De même extrême gauche et extrême droite se rejoignent parfois sur des priorités communes telles que la chute du pouvoir exécutif actuel jugé libéralodictatorial, ou sur l’exigence de souverainisme, perçu comme un rempart contre la mondialisation et l’influence des multinationales. Dans ce contexte moribond pour le civisme républicain et la démocratie participative, un recours à l’Éthique peut s’avérer utile s’il est impulsé par la société civile. L’Éthique est l’ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un ou d’une action collective (y compris publique).

À l’heure où la figure d’un homme ou femme politique providentielle s’estompe dans l’imaginaire politique collectif, il est salutaire de voir apparaître, en particulier en Guadeloupe, une dynamique collective portée par certains des acteurs de la société civile et des penseurs de la Respublica (chose publique) résolument tournés vers une régénération du vivre ensemble et une rénovation endogène de ce que nous nommons l’esprit public. En effet, pour construire l’avenir guadeloupéen, l’appel au « consommer local » n’est pas l’unique solution. Il faut aussi un appel au « fonctionner local ».

C’est dans l’intelligence collective des organisations de consommateurs, dans les collectifs de citoyens que des solutions alternatives et innovantes peuvent émerger et nourrir les décisions des élus mais aussi des décideurs publics et semi-publics. La mise en place consciente et sereine d’un nouveau contrat social entre les Guadeloupéens est un impératif. Il s’agirait d’un contrat moral et politique pour proposer notamment une meilleure intégration de la société civile dans les processus de décision publique, un recalibrage de l’intervention publique vers un meilleur soutien à la production et à la protection de produits locaux, aux actions culturelles et artistiques, à une formation mieux adaptée pour nos jeunes, à l’érection d’un nouveau cadre statutaire pour un pouvoir décisionnel concret dans des domaines déterminés et prioritaires; et en faveur de nouvelles formes de solidarités économiques, écologiques et sociales. Mais il s’agirait également de placer au centre du débat public les valeurs et les principes éthiques qui nous animent et peuvent nous rassembler en tant que Guadeloupéens. Des valeurs dont l’actualité sociale a montré à la fois la réalité et la complexité, mais surtout la place incontournable.

Le vivre ensemble s’en trouverait alors certainement amélioré, tout comme notre goût pour la vie démocratique.

Didier DESTOUCHES