Oui l’éthique est au cœur de nos vies mais également de la vie politique, et de plus en plus. Quelles valeurs avons-nous et voulons-nous montrer au monde ? Quels principes moraux mettons-nous au cœur de nos convictions, de nos actes et de notre avenir ? Ces deux questions s’appliquent aussi et surtout aux femmes et hommes politiques, au-delà de leur projet. L’actualité électorale nous en donne des exemples à travers le déroulement inédit de la campagne présidentielle.

D’abord la récente action de militants nationalistes contre la présence de Marine Le Pen en Guadeloupe est placée sur le terrain de l’éthique et des valeurs. Pouvons-nous accepter que cette candidate d’extrême droite avec son idéologie si contraire à notre mémoire et à notre dignité s’exprime librement en Guadeloupe ? Des organisations dites patriotiques ont répondu par la négative. La Démocratie peut-elle justifier toutes les idées et les propositions politiques ? Marine Le Pen a beau prétendre se dédiaboliser, on est encore loin tout de même d’un « exorcisme » politique de la tradition politique qui détermine le corpus idéologique du Rassemblement National (et de ses groupuscules internes). Doit-on pour autant intervenir en se confrontant directement à la candidate ? Cela dépend de la forme. Il faut en toute occasion éviter la violence et des actes qui seraient identiques à ceux que l’on dénonce, mais aussi respecter les libertés individuelles et politiques que nous chérissons visiblement de plus en plus en Guadeloupe. Mme Le Pen a tout à fait le droit de s’exprimer. Et des citoyens ont tout à fait le droit de lui dire qu’ils estiment que sa simple présence est une insulte à un peuple qui a d’autres valeurs que les siennes. Mais sans violence et sans prise à parti.

Elle a en tout cas le mérite de nous faire réfléchir à la question éthique importante du périmètre de la Démocratie et de celui de la liberté d’expression qui reste un droit, pour tous. La lecture de cet évènement de campagne est plutôt mitigée localement. Beaucoup reprochent à l’A.N.G et à son leader de s’être mobilisés sur une cause éthique et d’antagonisme idéologique alors qu’il y a tant d’autres causes et de sujets locaux de mobilisation (Soignants suspendus, Chlordécone, eau, Claude Jean-Pierre… ) où ils ne sont pas présents. D’autres saluent cette attitude d’opposition frontale traditionnelle à l’extrême droite en Guadeloupe. En réalité l’objectif de cette action était plus subtil qu’il n’en a eu l’air. Les militants mobilisés ont voulu répondre à l’orchestration d’un accueil très positif et « local » de la candidate du Rassemblement national. De fait cette action a aussi entraîné un buzz médiatique et numérique national de la première contestation publique de la légitimité démocratique d’une candidate taxée de racisme et de négationnisme. Le traitement national de cet incident a percuté de plein fouet la dynamique de dédiabolisation de la campagne de Marine Le Pen, tout en pointant les contradictions de militants qui dénoncent la violence idéologique et verbale de la candidate.

Il est à vrai dire tout de même utile qu’en ces temps de banalisation de la radicalisation et d’agressivité des échanges politiques, il y aient des positions fondées sur les valeurs, les principes, le sens de la société, et surtout le vivre ensemble; qui animent voire agitent le débat public. Les réactions locales (essentiellement civiles) à cette action des militants nationalistes ont aussi montré que seuls les sujets de vie quotidienne intéressent principalement les guadeloupéens. Ce qui les rend particulièrement sensibles aux discours et attitudes des candidats qui ont fait l’effort de venir eux-mêmes en Guadeloupe (Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo, Marine Le Pen, et Fabien Roussel).

Pour le reste, si les valeurs et l’éthique sont ambivalentes ou controversées chez les candidats les plus haut dans les sondages, leurs idées sont plutôt saillantes dans leurs programmes qui alternent pourtant le flou le plus complet au mélange le plus indigeste. Jean-Luc Mélenchon est clairement le candidat de la lutte contre les injustices sociales et du changement institutionnel et statutaire (tant pour la cinquième République que pour les outre-mers), Yannick Jadot celui de la sobriété, de la lutte contre le changement climatique et de la priorité écologique, Marine Le Pen celle du pouvoir d’achat, Emmanuel Macron celui d’une grande réforme libérale de l’éducation (très mal perçue par les enseignants), Éric Zemmour celui de la re-migration et de l’identité française (ethnicisée) et Valérie Pécresse la candidate de la rigueur économique et budgétaire. Hélas, de trop nombreuses questions importantes sont littéralement enfouies sous le tapis telles que l’avenir de la France en temps de guerre européenne, la paupérisation foudroyante des classes moyennes, l’emploi des jeunes, et surtout le cauchemar climatique en approche.

L’éthique concerne enfin la question de la sur-publication médiatique des sondages. Les sondages pilotent à vue le déroulement de cette campagne présidentielle si particulière. Malgré le caractère professionnel des opérations de sondage, c’est un grand risque pour le déroulement de l’élection. Les sondeurs doivent publier des marges d’erreurs or aucun d’entre eux ne sait les fabriquer selon l’ancien sondeur politologue Roland Cayrol. En 2002 les sondeurs se sont trompés sur Jospin, ils se sont également trompés pour l’affaissement électoral du Rassemblement national pour les dernières régionales, et pour celui de la République En Marche lors des dernières européennes et des municipales. De plus si l’on fait référence à l’attractivité des candidats à partir de leur meeting ou présence sur le terrain, on constate qu’il y a une vraie dynamique du côté de Zemmour qui propose, tel le général Boulanger en son temps, une intensité dans ces prises de paroles qui marquent les esprits. Il y a de même une vraie efficacité pour les sondages de la campagne de Marine Le Pen qui s’appuient sur la proximité et le labour du terrain comme son ex-ennemi juré Jacques Chirac. Il en est de même pour Jean-Luc Mélenchon. En face, le candidat Macron tient des meetings dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont plus ternes et trop tardifs. Il n’est pas donc hasardeux de dire qu’il y a un risque de plus en plus marqué de surprises électorales, et cela dès le premier tour.

Didier Destouches