Quatre enjeux de grande importance sont en arrière-plan (hélas) de cette élection présidentielle 2022 et vont pourtant structurer le débat politique et l’avenir de la France dans les prochaines années :

Il s’agit du changement climatique et de son impact considérable sur l’alimentation et le logement dans le monde, le risque d’accession au pouvoir en France du camp nationaliste/souverainiste, le maintien du pluralisme démocratique, et la place des territoires ultra-marins dans la République.

Dans une tribune parue le mardi 1er février sur le site de France Info, des climatologues, géographes, sociologues ou encore philosophes et océanographes s’inquiétaient de « l’absence de débat démocratique dans la campagne présidentielle sur les graves bouleversements en cours et à venir, qu’ils concernent le climat, l’océan, la biodiversité ou les pollutions ». Pourtant, cette problématique est loin d’être ignorée par la population française, rappelaient les signataires de la tribune. « L’environnement est une préoccupation majeure » des Françaises et des Français, selon une enquête de l’ADEME (l’Agence de la transition écologique). Les îles françaises d’Amérique sont d’ailleurs déjà directement exposées aux risques climatiques selon une étude menée par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).

Il y a effectivement de nombreuses questions fondamentales touchant à la préservation de notre cadre de vie et des ressources naturelles de la planète qui se posent mais qui ne sont pas assez posées. Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre sans augmenter les inégalités sociales et territoriales ? Comment réduire notre dépendance aux énergies fossiles, sans augmenter la précarité énergétique ? Comment adapter les villes pour réduire leur vulnérabilité aux extrêmes chauds, secs et humides tout en luttant contre l’habitat insalubre ? Ou encore comment œuvrer pour que l’éradication de la pauvreté dans le monde soit combinée avec l’adoption de modèles de développement durable et l’émancipation des femmes ? Toutes ces questions et nuances sont encore absentes des programmes et prises de parole publiques de la plupart des candidates et candidats à l’élection présidentielle. Notons cependant que malgré l’absence de débat, Fabien Roussel, Jean-Luc Mélenchon et bien sûr Yannick Jadot ont fait de la protection de l’environnement et de la Biodiversité des thèmes piliers de leur projet politique.

Un autre enjeu fort de l’élection concerne la potentielle conquête du pouvoir par l’extrême-droite française. La candidature du pamphlétiste Éric Zemmour a de fait boosté la campagne électorale du camp nationaliste en France. Fort des succès précédents électoraux de conservateurs nationalistes dans le monde tels que Donald Trump ou Viktor Urban, Zemmour a rendu centrale et omniprésente dans la campagne la présence des thématiques de l’insécurité, de l’immigration, du déclin culturel de la France ; et du souverainisme. Avec une idéologie similaire à celle de l’extrême-droite européenne et donc de la tradition politique des membres du Rassemblement National, le candidat du mouvement Reconquête a renforcé et consolidé le camp nationaliste français et lui procure une dynamique de vote beaucoup plus dense pour un éventuel second tour. L’engouement français pour cette forme d’expression politique est le signe du basculement depuis cinq ans de l’électorat vers les candidats disruptifs et politiquement incorrects, qui bénéficient soit d’un buzz permanent médiatique, soit d’un soutien indirect des médias, soit des deux.

L’erreur manifeste commise par les adversaires de Zemmour a été de stigmatiser uniquement ses valeurs alors que de très nombreux électeurs ne s’intéressent plus ni aux idées ni aux valeurs mais à la puissance transgressive, à la marginalité, à l’art oratoire, et aux méthodes populistes d’un candidat qui tape avec force et avec talent sur un système politique qu’ils ne supportent plus. Zemmour ne prendra pas des électeurs qu’à Marine le Pen mais il drainera de nombreux abstentionnistes et citoyens « anti-Macron ». Ensuite, à la différence de la plupart des observateurs, nous pouvons dire que Zemmour qui connait suffisamment bien l’histoire pour la falsifier en permanence, voit plus loin que sa propre candidature. C’est un homme qui rêve avant toute chose de victoire idéologique, de grand soir fasciste ; plus que de victoire électorale et qu’il peut donc servir en réalité de lévrier à Marine Le Pen en lui constituant un beau réservoir de voix pour le 2 e tour. Ce qui risque de peser lourdement sur le résultat final et de créer une surprise… La forte progression dans les sondages de la candidate nationaliste (qui est désormais à 47% d’intentions de vote au second tour contre seulement 53% pour Macron) en est un symptôme flagrant.

Le pluralisme politique est à la fois réclamé et à la fois menacé dans cette élection. Une présidentielle est une imposante et laborieuse orchestration d’un vaste débat public national qui commence avec l’octroi de parrainages pour avoir le droit de se présenter à cette élection, et qui se manifeste ensuite par des dispositifs médiatiques pour distribuer le temps de parole, si possible de façon égale. Force est de constater que certaines anomalies contraires ont parsemé cette campagne et jeter un certain doute dans l’opinion publique sur le respect de l’égalité du temps de parole mais surtout sur le respect de l’égalité des candidats à l’accès aux médias et à la presse et en définitive sur le respect de la pluralité des propositions politiques dans le cadre démocratique de la vie politique française. L’importance des chaines d’information mainstream (d’informations en continue) et leur volonté de proposer du contenu qui réponde surtout à des critères d’audience et de sélection des sujets polémiques et qui font « le buzz » a favorisé la présence médiatique des candidats Macron, Zemmour, et Le Pen. Le premier a bénéficié de la situation de crise sanitaire et de guerre en Europe, le second a surfé sur les buzzs liés à ses déclarations transgressives et de sa progression fulgurante dans les sondages, et la troisième a su profiter de la trahison de certains de ses lieutenants au profit de Zemmour pour être à la une de l’actualité politique quotidienne. Les « petits » candidats (selon les sondages) ont tout de même réussi à contenir un peu cette injustice en se démarquant avec des postures de résistance à l’absence de débat public (avec le mouvement pas de débat, pas de mandat) mais aussi avec des propositions innovantes ou détonantes.

Ainsi Fabien Roussel propose de l’optimisme et la suppression de l’élection du président de la République au suffrage universel, Jean Lassalle propose un plan d’urgence pour les campagnes et la paysannerie, Anne Hidalgo d’augmenter vraiment les salaires des enseignants, de supprimer parcours sup. et de relever le minimum vieillesse à 1200 € ; Nicolas Dupont-Aignan proposant quant à lui de reconnaître le vote blanc. Ces candidats ne dépassent pas les 6% dans la plupart des sondages mais arrivent tout de même à se faire entendre sur des sujets importants pour l’avenir du modèle français.

L’une des nouveautés de cette campagne est enfin le traitement différencié qui été réservé aux territoires non hexagonaux de la France. La plupart des candidats ont préféré mettre l’avenir de ces territoires dans un programme à part et dans une stratégie de communication spécifique. Ainsi, les problématiques qui nous concernent ont été cloisonnées dans des discours rares déclamés lors de visites opportunes pendant la crise sociale, ou par visioconférences sélectives ou lors de visites tardives opérées au pas de course et in-extremis.

Les Outre-mer sont désormais cités de façon anecdotiques dans les programmes reçus par voie postale juste avant le premier tour. À noter la démarche particulière du candidat Mélenchon qui a lui nationalisé nos problématiques dans sa campagne, avec par exemple la question du droit à l’accès à l’eau. Il y’a dans cette réalité de distanciation politique entre la nation française et les peuples de ces pays et territoires ultra-marins, en partie le résultat d’une quasi disparition de la représentation politique des partis de gouvernement (Les républicains et le Parti Socialiste) des premières places de nos échiquiers politiques locaux, mais également une dynamique globale d’autonomisation des politiques publiques et des choix de société dans les territoires non hexagonaux. Se profile ainsi à l’horizon pour le prochain président ou la prochaine présidente de la République, un travail conséquent de concertation pour la redéfinition des liens et du contrat social qui lient ces peuples à la République, qu’ils soient Corse, Guyanais, ou Guadeloupéen.

Didier Destouches